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LÉOPOLD POYET INQUIÉTANTE INTENSITÉ

Chacun de ses grands dessins témoigne d’une très rare présence graphique, tant par l’impressionnante tension de ses traits que par l’étonnante respiration d’étendue qu’il impose. Dans l’implacable dénuement de l’essentiel, il découpe le vide.

Chez Léopold Poyet, qui alterne le dessin et la gravure, le graphisme, d’une précision chirurgicale, crée un fort contraste entre un réalisme apparent et une très dense atmosphère fantastique. Ses portraits témoignent ainsi d’une étonnante capacité à cerner l’allure essentielle d’un visage tout en préservant la part de mystère chaque être humain. Pour Léopold Poyet, qui cherche dans l’histoire de l’art des sources subtilement utilisées, chaque visage, « support d’émotions », est à la fois singulier et universel. Ainsi le portrait de son propre père est inspiré du Saturne de Goya, dont l’influence est capitale pour lui, comme celles de Bosch, du Caravage, d’Escher, de Brauner, et enfin celle de notre très contemporain Jérôme Zonder, maître en création-dessin. Et tous les ailleurs de la grande science-fiction le fascinent.

TERRITOIRES OPAQUES

« Ce qui m’intéresse, c’est de regarder vraiment, au-delà des clichés. Je détourne le visage pour en montrer des aspects inconnus, et pas nécessairement flatteurs. Et la matière organique première du visage m’attire. » Derrière chaque apparence attendue se cache la bête humaine. Chez Léopold Poyet, l’attrait pour le fantastique intègre son goût pour l’inquiétante opacité et la peur latente qui peut en naître. « Je m’intéresse aux gueules animales et humaines. La violence graphique m’attire, surtout en gravure, où j’aime le brut et rugueux, alors que je travaille le dessin d’avantage en finesse. » Du fantastique au monde des rêves, il n’y a qu’un pas qu’il franchit en enregistrant les formes issues des sources secrètes du psychisme, « pour que l’on puisse plonger dedans, et j’aime creuser avec les mains ».

INSONDABLE ABSENCE

Premier degré de réalité, claire et nette, troublée par l’énigmatique surgissement des sombres présences du dedans: « Je trouve de la vie dans les souterrains, et j’aime dessiner l’obscurité. » On comprend que Léopold Poyet aime la lenteur, aussi bien dans sa façon de penser que dans celle de créer. Lente naissance de ses images, avec un nécessaire temps de gestation pour tamiser ce qui vient, et dégager l’essentiel. Chacune de ses oeuvres, fût-elle « chargée » jusqu’à l’os, vit dans l’insondable et dans l’absence. Et pourtant, Léopold Poyet, un rien ténébreux, aime travailler avec d’autres. Un ami musicien crée pour lui une banque sonore. Le son inventé est une matière sensorielle qui l’accompagne. Il travaille aussi la sérigraphie avec un atelier, pour aborder d’autre rivages de création, « comme si je me lançais dans le vide ». Si la grande oeuvre d’art vit de contradictions assumées, le contraste est saisissant, chez ce jeune artiste, en chacun de ses dessins, entre une dure dramatisation décantée à l’extrême, et une secrète intime fragilité.

Christian Noorbergen, ARTENSION n°171